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Après un sympathique « Judgment » et un anthologique « Yakuza 0 », SEGA est de retour avec la suite de sa série des Yakuza. Petit plaisir coupable de tous les « japan fag » qui se respecte, le septième épisode des yakuzas au pays du soleil levant fait son grand retour, et en français s’il vous plaît. Et pour ce nouvel épisode, la série fait sa révolution : ce qui avait commencé comme une blague de 1er Avril s’est finalement matérialisé sous nos yeux ébahis. Oui, Yakuza est bien devenu un JRPG. Et le pire, c’est que c’est le meilleur RPG de l’année.
Apprenti Yakuza
Exit Kiryû et Cie, c’est ici un nouveau protagoniste, Ichiban, enfant de la street né dans un « soapland » (sorte de salon de massage un peu sépcial japonais) et une nouvelle histoire auxquels on aura droit dans « Like a Dragon ». Après une introduction dans le désormais célèbre quartier de Kamurochô (le nom détourné de « Kabukichô » dans la série des Yakuza), notre apprenti Yakuza se retrouve balancé (c’est le cas de le dire « no spoil ») à Yokohama, ville gangrenée par le vice et la corruption.
Comme d’habitude, la reproduction d’une ville et du quotidien japonais à eux seuls valent le détour : konbini du coin, club SEGA, bar à hôtesse, salarymen pressés et maids : toute la panoplie du parfait « gaijin au Japon » est présente. La majeure partie du jeu se déroulera donc à Yokohama, mais que les habitués se rassurent : les pérégrinations de notre héros vous feront revenir à Kamurochô, là où tout a commencé.
Si l’objectif est toujours de bastonner des yakuza, le scénario du jeu part sur les chapeaux de roues et prend assez rapidement des ramifications à n’en plus finir, malgré un rythme de jeu qui retombe légèrement passé les 10 premières heures, pour revenir plus fort ensuite. La mise en scène des dialogues n’est pas en reste, avec des passages vraiment classes, et un doublage comme d’habitude aux petits oignons (même si l’on aura pas droit à Takeshi Kitano cette fois….). On regrettera cependant l’absence de doublage intégral (certains passages étant essentiellement textuels) et quelques transitions un peu abruptes entre chaque scène. Soulignons d’ailleurs la traduction française de très bonne facture.
Like a Dragon Quest
La thématique de la rédemption étant centrale dans cette épisode, chacun de nos héros aura sa bonne raison de chercher à se réhabiliter aux yeux de la société. A ce titre, notre héro Ichiban fait d’ailleurs très « Yakuza raté », tant son envie de gravir les échelons dans la pègre japonaise détonne avec sa candeur digne d’un Luffy au chapeau de paille.
Comme dans tout bon JRPG qui se respecte, notre héros ne sera pas seul mais va faire équipe avec toute sortes d’alliés : de l’ex flic revanchard un peu trop porté sur la bouteille au SDF qui a tout perdu, en passant par l’hôtesse adepte de kung-fu, Yakuza 7 vous fera découvrir une facette méconnue mais pour le moins insolite de l’archipel nippon. Vous l’aurez compris, la galerie des personnages est encore une fois haute en couleurs. Attendez-vous d’ailleurs à des moments purement « shônen », à base de grosses bastons sous fond de pouvoir de l’amitié. Et les ennemis ne sont pas en reste. Dans Like a Dragon, vous ne croiserez pas la route de dragons, d’elfes ou de « slimes » façon Dragon Quest. Non, ici, il s’agira plutôt de se taper avec des yakuza bien veners, des salarymen un peu trop éméchés, des exhibitionnistes ou même des sdf en sac poubelle. La ville de Yokohama ressemble ici plus à un défilé des pires détraqués du pays du soleil levant qu’à la ville dortoir plutôt paisible qu’elle est en réalité. Ne croyez pas pour autant que le jeu se résume à la blague : derrière des ennemis et des attaques plus loufoques les unes que les autres, allant de l’attaque de pigeons façon « les oiseaux » d’Hitchcock à la pose sexy sensée charmer vos adversaires pour mieux leur mettre votre batte dans la tronche, se cache un système de combat classique mais solide sur ses appuis. Combats au au tour par tour, dans la plus pure tradition des Dragon Quest, avec quelques bonnes trouvailles pour dynamiser l’ensemble, comme le système de garde ou attaques parfaites qui vous demandera d’appuyer sur la touche Y ou A (sur Xbox) dans le bon timing. On notera tout de même un pathfinding qui aura tendance à partir assez souvent aux fraises, ce qui peut agacer, mais n’aura heureusement pas de répercussion sur l’issue du combat.
Côté personnalisation, il sera possible d’attribuer une classe et un rôle précis à chaque protagoniste: un simple passage à Hello Work (le pôle emploi japonais) vous permettra ainsi de passer de « Héros » à « SDF » en passant par « Idol ». ou « CRS ». Bien entendu, chaque classe aura ses propres attributs (mage, soigneur, DPS…), équipements, et vous donnera accès à certaines techniques et capacités passives.
« Pas plus haut que le bord »
Un scénario très sérieux façon film de Kitano et des quêtes annexes totalement absurdes, voilà ce qui fait le sel d’un bon Yakuza. Et si les combats restent le cœur du jeu, Yakuza 7 garde ce côté « shenmuesque » propre à la série. Si on ne vous demandera pas d’aller soulever des palettes ou conduire un Fenwick à l’usine (quoiqu’un certain passage du début du jeu y fait fortement penser « no spoil »), les activités annexes sont à nouveau de la partie, et débordent de partout.
Si le mot « quête annexes » suffit parfois à donner des sueurs froides à certains (Ubisoft j’écris ton nom), rassurez-vous : il ne sera nullement question ici de tour à escalader ou de camps à libérer.Du ramassage de canettes au Mahjong, en passant par la gestion d’une entreprise, le nombre d’à côtés n’a sans doute jamais été aussi gargantuesque, mais aussi original (mention spéciale au cinéma où l’on doit résister au sommeil devant des navets pour faire plaisir au projectionniste). Tout juste regrettera-on la disparition du baseball ou de la gestion du bar à hôtesses de Yakuza 0. Et ne croyez pas que cela se limitera à un mini-jeu de deux minutes. Il s’agit de véritables jeu dans le jeu. Lancez une partie de Mahjong avec le SDF du coin et vous aurez de fortes chances de vous retrouver 2h après la manette en main à enchaîner votre dixième partie de la soirée, espérant monter dans le « lader » in-game. Lancez-vous dans la gestion de votre petite entreprise et vous vous demanderez quelques heures après quelle bouteille de champagne offrir à tel client pour optimiser vos bénéfices, ou comment fermer son clapet à cet actionnaire un peu trop relou. C’est simple, jamais un jeu de la série n’avait proposé autant d’activités annexes, et surtout ne les avaient poussé aussi loin.
Derrière le délire assumé, n’en reste pas moins de réelles thématiques, comme l’adaptation des clans yakuza aux mesures anti criminalité des gouverneurs nippons, le militantisme anti-porno incarné par des extrémistes manifestants à pancartes bien relous revendiquant un nettoyage de la société ; ou la place de la femme dans la société japonaise. Oh, n’y voyez pas une grande réflexion philosophique, mais derrière ce grand guignol quasi permanent, la série entretien toujours cette volonté de traiter de thèmes relativement sérieux et ancrés dans leur époque (on pense notamment à Yakuza 0 et l’« âge d’or » de l’économie japonaise dans années 70-80).
Enfin, côté technique, on retrouve le moteur de Judgment ou même de Yakuza 6, agrémenté d’un bon coup de polish et d’une motion capture formidable. Pas la dernière baffe graphique donc, mais une réalisation suffisamment solide pour nous transporter à Yokohama et ses bas-fonds le temps d’une virée entre yakuzas.
On l’avait redouté, Toshihiro Nagoshi et son équipe l’ont fait : Yakuza a donc opéré sa mue avec ce 7ème épisode, passant du Beat Them All au RPG. Et quelle mue. Savant mélange entre scénario sérieux voir grave et guignolerie assumée, Yakuza 7 est à la fois un OVNI ultra rafraîchissant et débordant d’idées, et un JRPG dans sa forme la plus pure. A moins d’être allergique au genre, on ne saura que trop vous conseiller de vous lancer dans l’aventure (qui durera une cinquantaine d’heures environ pour la quête principale). Car Yakuza 7, c’est avant tout une expérience à vivre. Et comme le dit Ichiban lui-même : « la vie, c’est comme un RPG«